mardi 7 février 2017

Sensibiliser les jeunes aux possibles risques numériques

Depuis quelques années, j'interviens auprès de collégiens afin de sensibiliser aux possibles risques numériques.

L’objectif de ces interventions n’est pas de leur faire peur : Internet, le numérique, les réseaux sociaux, sont de formidables outils au potentiel illimité. Cependant, comme tout outil, il est important d'en connaitre les codes d’usage, le fonctionnement et les possibles dérives.


Quelles pratiques des réseaux ?
Par des réponses à main levée, il est facile d’observer qu’en 5ème, 1 tiers à la moitié des élèves sont présents sur Snapchat et / ou Instagram et très peu sont inscrits sur Facebook. Beaucoup utilisent encore Skype, aucun ou presque Twitter.
Souvent, les élèves de 5ème ne sont pas présents sur Facebook car leurs parents leur interdisent : Facebook, c’est connu, est interdit aux moins de 13 ans. Ils autorisent ou méconnaissent Snapchat et Instagram alors que les 2 applications sont normalement elles aussi interdites au moins de 13 ans et connaissent elles aussi des dérives dans leurs usages. A comparer, Facebook est aujourd’hui un réseau plus « adulte » et tempéré que les 2 autres.
En 4ème, plus de la moitié des élèves sont présents sur Snapchat et / ou Instagram et un tiers à la moitié le sont également sur Facebook. Peu d’élèves sont présents sur Twitter et ceux qui le sont suivent des personnalités comme des footballeurs. Skype est souvent abandonné à cet âge car jugé trop enfantin.

A quoi tu joues ?
1 tiers des élèves estime jouer régulièrement aux jeux vidéo mais seulement 2 ou 3 par classe jouent tous les jours plus d’1 heure.
Les jeux les plus joués sont Call of Duty, GTA et Fifa. En 5ème, beaucoup de garçons jouent à Minecraft. En 4ème, ils n’y jouent plus c’est pour les enfants.
A noter que Call of Duty et GTA sont déconseillés aux moins de 18 ans par la règlementation PEGI. A 12 ou 13 ans, jouer à ces 2 jeux fait quasiment partie du voyage initiatique de l’adolescence. Un jeu comme GTA permet une liberté d’action telle que tout y est possible, contrairement à la société actuelle pour un adolescent.
Par contre, jouer quotidiennement ET longtemps à ce type de jeu comme à un autre, pour une personne sensible, comme un enfant en pleine croissance, peut évidement être très néfaste à son développement psychique.


Vidéo et images chocs
Tous les élèves vont sur Youtube pour regarder des Youtubeurs (Cyprien, Squeezie, Tibo Inshape ou encore Natoo chez les filles sont les plus cités) ou encore pour suivre des gens qui jouent à des jeux vidéo (des chaînes de gaming). Souvent, ces vidéos à caractère ludique peuvent permettre d’introduire des apprentissages informels et contribuent à façonner leurs langages et codes culturels.
Une majorité des élèves avoue avoir déjà vu, volontairement ou non, des images choquantes. Des images pornographiques (à cet âge, les garçons, surtout, sont curieux) mais aussi des images plus violentes ou crues, comme des morts en direct (à ne pas faire : tapez « images choquantes » dans Google). Il est important que les enfants sachent qu’ils peuvent en parler librement, exprimer leur ressenti face à ces contenus.


Ignorance des risques
De nombreux élèves sont assez peu au courant des différents risques sur Internet. Lorsqu’il leur ai demandé quels sont ces risques et inconvénients du numérique, ils répondent : mal aux yeux, panne de batterie et absence de réseau. Ils peinent à évoquer le cyber harcèlement, les mauvaises rencontres ou la dépendance.

Un peu de technique
Même s’ils utilisent quotidiennement Internet, son fonctionnement technique et le chemin physique d’une information (texte, vidéo, photo) sur Snapchat par exemple leur est totalement inconnu. Très peu (voir aucun) n’ont conscience qu’un document envoyé par Internet, quel que soit le réseau, est copié de multiples fois sur différents serveurs avant d’être reçu par son destinataire. Ainsi, il est nécessaire de prendre conscience qu’à partir du moment où une information est diffusée sur Internet, ils n’en maîtrisent plus la portée.

Photos volées
Pour illustrer ce propos, il est évoqué le « Celebrity Gate » : lorsque, en 2015, plusieurs célébrités, dont l’actrice Jennifer Lawrence, ont vu leurs espaces de stockage en ligne privés se faire pirater et leurs photos intimes diffusées sur de nombreux sites Internet, malgré les efforts de leurs avocats.
Mais les ennemis intimes représentent une menace plus grande encore. 13% des adolescent(e)s se sont déjà filmés ou photographiés nus. Ainsi, de nombreux adolescent(e)s ont déjà  envoyé à leurs amours respectifs des aperçus privés de leur anatomie, qui, par faute de discrétion des destinataires, ne sont pas restées privées. Le fait est illustré par la mésaventure de Laure Manaudou il y a 10 ans.


Sur Internet pour un jour, sur Internet pour toujours
Surtout, le droit à l’oubli n’existe pas sur Internet. Une information publiée sur Internet, Snapchat, Youtube, … et dépubliée dans la seconde peut toujours laisser des traces 5 ans, 10 ans, 20 ans après (les photos volées de Laure Manaudou sont toujours facilement accessibles et ont refait surface suite à un clash avec le rappeur Booba).

Soigner sa e-réputation
Et si ce que nous faisons ou avons fait peut être visible facilement par tous, la notion du tous chez les jeunes se restreint souvent selon eux à leurs semblables. Ainsi, une mode sur Facebook depuis quelques années consiste à « afficher » ses amis le jour de leur anniversaire, comprenez afficher une archive photo ou vidéo du camarade assez honteuse ou le présentant en mauvaise posture en public sur la page Facebook.
Hors, toute information récoltée sur une personne sur Internet participe à la perception de son identité numérique et forge sa e-réputation. Ainsi, de nombreux employeurs ont aujourd’hui pour habitude de « googeliser » les noms des candidats et se forgent alors une première impression.

Droit à l’image
Il est par ailleurs conseillé de vérifier régulièrement les traces numériques qui peuvent nous échapper. Car si vous maîtrisez ce que vous dites de vous, vos amis ne le font pas forcément. Les jeunes prennent en photo ou en vidéo leurs amis et se les partagent sur les réseaux, sans toujours leur demander leur autorisation, et encore moins, bien sûr, celle des parents.
Un jeu fréquent, rencontré dans de nombreuses classes : filmer ou photographier à son insu un professeur en cachette pendant son cours. Un jeu qui peut coûter cher : l’infraction au droit à l’image peut être sanctionnée à une hauteur maximale de 45000€ d’amende.

Effet bulle
Les écrans permettent de fait un rapport aux autres qui abolit les frontières physiques mais donnent également une apparence d’impunité. Sans la confrontation directe, en se trouvant au centre de la bulle protectrice que constitue sa chambre ou sa maison, et derrière un pseudo ou un avatar, il est plus facile de plaisanter, de flirter, ou bien de critiquer, voir d’insulter. Nombreux sont ainsi les élèves à avoir assisté ou participé à des clashs sur les réseaux sociaux ou à avoir insulté d’autres joueurs sur les jeux en réseau, type Clash Royale. Pour eux, le sentiment d’impunité est total. D’ailleurs, les injures sont souvent un jeu. Un jeu qui peux malheureusement aller loin, car des injures répétées de façon constantes, cela s’appelle du harcèlement et  concerne 10% des collégiens.


Cyber harcèlement
Bien sûr, le harcèlement à l’école n’est pas un phénomène nouveau. Mais avec le numérique, une fois la porte de la maison franchie, le harcèlement s’arrêtait. Aujourd’hui, ce harcèlement souvent épouse la forme des réseaux sociaux : insultes, menaces se répètent en copier coller.
Des mots qui sont pris parfois à la légère par ceux qui les profèrent : « C’est pour rire ». Pourtant, injurier et diffamer peuvent être lourds de conséquence et sont punis par la loi. Les deux sont des infractions et peuvent être sanctionnées à une hauteur maximale de 12000€ d’amende.
Pour sortir du harcèlement, la solution est évidente pour tous : en parler aux parents. Mais à la question « est il facile d’en parler à ses parents ? », la plupart répondent que non : pas envie de leur faire honte, la peur de « balancer », que ce soit pire après, de passer pour une « victime », un terme très péjoratif pour eux. Il est important de leur faire comprendre que s’ils se font harceler, sur Internet ou ailleurs, en parler est essentiel. Les parents doivent prouver à leurs enfants qu’ils sont à l’écoute de ce genre de risque. Le numéro vert NetEcoute 0800 200 000 est là pour apporter écoute et soutien aux enfants comme aux parents.

Les bonnes et les mauvaises rencontres
Internet permet de rencontrer des personnes partageant les mêmes passions, de découvrir des cultures et des façons de penser différentes. Mais parfois, bien que rarement, les personnes derrière leurs écrans cachent leur véritable identité. Sur Internet, il est facile de se créer une fausse personnalité, comme c’est le cas pour Justine Pasquier : un faux compte Facebook réalisé à but pédagogique qui a vite eu plus de 500 amis, tout à fait vrai ceux là.


Rumeurs et arnaques
Il existe beaucoup de faux semblants, virus et arnaques sur Internet. Le terme « post vérité » a d’ailleurs été élu mot de l’année 2016, suite à l’élection présidentielle américaine. Les partisans (et le candidat lui-même) ont inondé les réseaux de mensonges énormes et de raccourcis, plus rapidement partagés que les véritables faits eux-mêmes.
Les pirates et les escrocs utilisent les mêmes outils que les jeunes, car ils les savent prompts à cliquer sans (trop) réfléchir dès qu’un contenu les intéresse. Ainsi, une arnaque récente sur Instagram consiste à se faire passer pour une célébrité et d’inciter à appeler un numéro surtaxé pour obtenir gratuitement un Iphone.
Quand une information sur Internet semble être trop incroyable pour être vraie, il faut se demander si ce n’est pas le cas et vérifier les sources. Des sites et outils tels que le site Hoaxbuster.com ou le module Décodex permettent de vérifier une information.
 
La juste place des écrans
Afin de ne pas devenir accro aux écrans, de prendre du recul par rapport aux usages de ceux-ci, préserver sa santé, il est enfin important de limiter le temps qui leur est consacré et la place qu’ils doivent prendre dans le foyer. Des règles basiques peuvent être mises en place :

  • -     Pas d’écrans pendant les repas, ni télé, ni tablette, ni téléphone. Les parents se doivent de respecter également cette règle afin de permettre un dialogue.
    -        Pas plus d’1h de jeu vidéo par jour en semaine
    -        Pas de smartphone la nuit. De manière générale, pas d’écrans 30 minutes à 1h avant de dormir pour une bonne qualité de sommeil.
    -        Pas d’accès Internet passé 22h30.

    Il ne s'agit pas de "fliquer" les enfants, mais de leur imposer, pour leur bien, des règles de conduite.

     


     Le rôle des parents
Souvent démunis face à l’aisance de leurs enfants avec les outils numériques, les parents ont pourtant un rôle essentiel à jouer dans l’accompagnement de leurs enfants sur Internet. Les règles du bon sens commun s’y appliquent comme dans la vie de tous les jours : ne pas croire tout ce que l’on vous dit, ne pas faire confiance aux inconnus, ne pas crier sur les toits ce que l’on pense, ne pas faire l’imbécile en public, ne pas insulter gratuitement.
Un accompagnement dans leurs pratiques et une écoute de celle-ci, un espace libre de parole et un temps aménagé sans écran sans les règles importantes.