Depuis quelques années, j'interviens auprès de collégiens afin de sensibiliser aux possibles risques numériques.
L’objectif
de ces interventions n’est pas de leur faire peur : Internet, le
numérique, les réseaux sociaux, sont de formidables outils au potentiel
illimité. Cependant, comme tout outil, il est important d'en connaitre les
codes d’usage, le fonctionnement et les possibles dérives.
Quelles
pratiques des réseaux ?
Par des réponses à main levée, il est facile d’observer qu’en 5ème,
1 tiers à la moitié des élèves sont présents sur Snapchat et / ou Instagram et
très peu sont inscrits sur Facebook. Beaucoup utilisent encore Skype, aucun ou
presque Twitter.
Souvent, les élèves de 5ème ne sont pas présents sur
Facebook car leurs parents leur interdisent : Facebook, c’est connu, est
interdit aux moins de 13 ans. Ils autorisent ou méconnaissent Snapchat et
Instagram alors que les 2 applications sont normalement elles aussi interdites
au moins de 13 ans et connaissent elles aussi des dérives dans leurs usages. A
comparer, Facebook est aujourd’hui un réseau plus « adulte » et tempéré
que les 2 autres.
En 4ème, plus de la moitié des élèves sont présents sur
Snapchat et / ou Instagram et un tiers à la moitié le sont également sur
Facebook. Peu d’élèves sont présents sur Twitter et ceux qui le sont suivent
des personnalités comme des footballeurs. Skype est souvent abandonné à cet âge
car jugé trop enfantin.
A quoi tu
joues ?
1 tiers des élèves estime jouer régulièrement aux jeux vidéo mais
seulement 2 ou 3 par classe jouent tous les jours plus d’1 heure.
Les jeux les plus joués sont Call of Duty, GTA et Fifa. En 5ème,
beaucoup de garçons jouent à Minecraft. En 4ème, ils n’y jouent
plus c’est pour les enfants.
A noter que Call of Duty et GTA sont déconseillés aux moins de 18 ans
par la règlementation PEGI. A 12 ou 13 ans, jouer à ces 2 jeux fait quasiment
partie du voyage initiatique de l’adolescence. Un jeu comme GTA permet une
liberté d’action telle que tout y est possible, contrairement à la société
actuelle pour un adolescent.
Par contre, jouer quotidiennement ET longtemps à ce type de jeu comme à
un autre, pour une personne sensible, comme un enfant en pleine croissance,
peut évidement être très néfaste à son développement psychique.
Vidéo et
images chocs
Tous les élèves vont sur Youtube pour regarder des Youtubeurs (Cyprien,
Squeezie, Tibo Inshape ou encore Natoo chez les filles sont les plus cités) ou
encore pour suivre des gens qui jouent à des jeux vidéo (des chaînes de gaming).
Souvent, ces vidéos à caractère ludique peuvent permettre d’introduire des
apprentissages informels et contribuent à façonner leurs langages et codes
culturels.
Une majorité des élèves avoue avoir déjà vu, volontairement ou non, des
images choquantes. Des images pornographiques (à cet âge, les garçons, surtout,
sont curieux) mais aussi des images plus violentes ou crues, comme des morts en
direct (à ne pas faire : tapez « images choquantes » dans
Google). Il est important que les enfants sachent qu’ils peuvent en parler
librement, exprimer leur ressenti face à ces contenus.
Ignorance
des risques
De nombreux élèves sont assez peu au courant des différents risques sur
Internet. Lorsqu’il leur ai demandé quels sont ces risques et inconvénients du
numérique, ils répondent : mal aux yeux, panne de batterie et absence de
réseau. Ils peinent à évoquer le cyber harcèlement, les mauvaises rencontres ou
la dépendance.
Un peu de
technique
Même s’ils utilisent quotidiennement Internet, son fonctionnement technique
et le chemin physique d’une information (texte, vidéo, photo) sur Snapchat par
exemple leur est totalement inconnu. Très peu (voir aucun) n’ont conscience
qu’un document envoyé par Internet, quel que soit le réseau, est copié de
multiples fois sur différents serveurs avant d’être reçu par son destinataire.
Ainsi, il est nécessaire de prendre conscience qu’à partir du moment où une
information est diffusée sur Internet, ils n’en maîtrisent plus la portée.
Photos
volées
Pour illustrer ce propos, il est évoqué le « Celebrity Gate » :
lorsque, en 2015, plusieurs célébrités, dont l’actrice Jennifer Lawrence, ont
vu leurs espaces de stockage en ligne privés se faire pirater et leurs photos
intimes diffusées sur de nombreux sites Internet, malgré les efforts de leurs
avocats.
Mais les ennemis intimes représentent une menace plus grande encore.
13% des adolescent(e)s se sont déjà filmés ou photographiés nus. Ainsi, de
nombreux adolescent(e)s ont déjà envoyé
à leurs amours respectifs des aperçus privés de leur anatomie, qui, par faute
de discrétion des destinataires, ne sont pas restées privées. Le fait est
illustré par la mésaventure de Laure Manaudou il y a 10 ans.
Sur Internet
pour un jour, sur Internet pour toujours
Surtout, le droit à l’oubli n’existe pas sur Internet. Une information
publiée sur Internet, Snapchat, Youtube, … et dépubliée dans la seconde peut
toujours laisser des traces 5 ans, 10 ans, 20 ans après (les photos volées de
Laure Manaudou sont toujours facilement accessibles et ont refait surface suite
à un clash avec le rappeur Booba).
Soigner sa
e-réputation
Et si ce que nous faisons ou avons fait peut être visible facilement
par tous, la notion du tous chez les jeunes se restreint souvent selon eux à
leurs semblables. Ainsi, une mode sur Facebook depuis quelques années consiste
à « afficher » ses amis le jour de leur anniversaire, comprenez afficher
une archive photo ou vidéo du camarade assez honteuse ou le présentant en
mauvaise posture en public sur la page Facebook.
Hors, toute information récoltée sur une personne sur Internet
participe à la perception de son identité numérique et forge sa e-réputation.
Ainsi, de nombreux employeurs ont aujourd’hui pour habitude de
« googeliser » les noms des candidats et se forgent alors une
première impression.
Droit à
l’image
Il est par ailleurs conseillé de vérifier régulièrement les traces numériques
qui peuvent nous échapper. Car si vous maîtrisez ce que vous dites de vous, vos
amis ne le font pas forcément. Les jeunes prennent en photo ou en vidéo leurs
amis et se les partagent sur les réseaux, sans toujours leur demander leur
autorisation, et encore moins, bien sûr, celle des parents.
Un jeu fréquent, rencontré dans de nombreuses classes : filmer ou
photographier à son insu un professeur en cachette pendant son cours. Un jeu
qui peut coûter cher : l’infraction au droit à l’image peut être sanctionnée
à une hauteur maximale de 45000€ d’amende.
Effet bulle
Les écrans
permettent de fait un rapport aux autres qui abolit les frontières physiques
mais donnent également une apparence d’impunité. Sans la confrontation directe,
en se trouvant au centre de la bulle protectrice que constitue sa chambre ou sa
maison, et derrière un pseudo ou un avatar, il est plus facile de plaisanter,
de flirter, ou bien de critiquer, voir d’insulter. Nombreux sont ainsi les
élèves à avoir assisté ou participé à des clashs sur les réseaux sociaux ou à
avoir insulté d’autres joueurs sur les jeux en réseau, type Clash Royale. Pour
eux, le sentiment d’impunité est total. D’ailleurs, les injures sont souvent un
jeu. Un jeu qui peux malheureusement aller loin, car des injures répétées de
façon constantes, cela s’appelle du harcèlement et concerne 10% des collégiens.
Cyber
harcèlement
Bien sûr, le harcèlement à l’école n’est pas un phénomène nouveau. Mais
avec le numérique, une fois la porte de la maison franchie, le harcèlement
s’arrêtait. Aujourd’hui, ce harcèlement souvent épouse la forme des réseaux
sociaux : insultes, menaces se répètent en copier coller.
Des mots qui sont pris parfois à la légère par ceux qui les
profèrent : « C’est pour rire ». Pourtant, injurier et diffamer
peuvent être lourds de conséquence et sont punis par la loi. Les deux sont des
infractions et peuvent être sanctionnées à une hauteur maximale de 12000€
d’amende.
Pour sortir du harcèlement, la solution est évidente pour tous :
en parler aux parents. Mais à la question « est il facile d’en parler à
ses parents ? », la plupart répondent que non : pas envie de
leur faire honte, la peur de « balancer », que ce soit pire après, de
passer pour une « victime », un terme très péjoratif pour eux. Il est
important de leur faire comprendre que s’ils se font harceler, sur Internet ou
ailleurs, en parler est essentiel. Les parents doivent prouver à leurs enfants
qu’ils sont à l’écoute de ce genre de risque. Le numéro vert NetEcoute 0800
200 000 est là pour apporter écoute et soutien aux enfants comme aux
parents.
Les bonnes
et les mauvaises rencontres
Internet permet de rencontrer des personnes partageant les mêmes
passions, de découvrir des cultures et des façons de penser différentes. Mais
parfois, bien que rarement, les personnes derrière leurs écrans cachent leur
véritable identité. Sur Internet, il est facile de se créer une fausse
personnalité, comme c’est le cas pour Justine Pasquier : un faux compte
Facebook réalisé à but pédagogique qui a vite eu plus de 500 amis, tout à fait
vrai ceux là.
Rumeurs et
arnaques
Il existe beaucoup de faux semblants, virus et arnaques sur Internet. Le
terme « post vérité » a d’ailleurs été élu mot de l’année 2016, suite
à l’élection présidentielle américaine. Les partisans (et le candidat lui-même)
ont inondé les réseaux de mensonges énormes et de raccourcis, plus rapidement
partagés que les véritables faits eux-mêmes.
Les pirates et les escrocs utilisent les mêmes outils que les jeunes,
car ils les savent prompts à cliquer sans (trop) réfléchir dès qu’un contenu
les intéresse. Ainsi, une arnaque récente sur Instagram consiste à se faire passer
pour une célébrité et d’inciter à appeler un numéro surtaxé pour obtenir
gratuitement un Iphone.
Quand une information sur Internet semble être trop incroyable pour
être vraie, il faut se demander si ce n’est pas le cas et vérifier les sources.
Des sites et outils tels que le site Hoaxbuster.com ou le module Décodex permettent
de vérifier une information.
La juste
place des écrans
Afin de ne pas devenir accro aux écrans, de prendre du recul par rapport
aux usages de ceux-ci, préserver sa santé, il est enfin important de limiter le
temps qui leur est consacré et la place qu’ils doivent prendre dans le foyer.
Des règles basiques peuvent être mises en place :
-
Pas d’écrans pendant les repas, ni télé, ni
tablette, ni téléphone. Les parents se doivent de respecter également cette
règle afin de permettre un dialogue.
-
Pas plus d’1h de jeu vidéo par jour en semaine
-
Pas de smartphone la nuit. De manière générale,
pas d’écrans 30 minutes à 1h avant de dormir pour une bonne qualité de sommeil.
-
Pas d’accès Internet passé 22h30.
Il ne s'agit pas de "fliquer" les enfants, mais de leur imposer, pour leur bien, des règles de conduite.
Le rôle des
parents
Souvent démunis face à l’aisance de leurs enfants avec les outils
numériques, les parents ont pourtant un rôle essentiel à jouer dans
l’accompagnement de leurs enfants sur Internet. Les règles du bon sens commun
s’y appliquent comme dans la vie de tous les jours : ne pas croire tout ce
que l’on vous dit, ne pas faire confiance aux inconnus, ne pas crier sur les
toits ce que l’on pense, ne pas faire l’imbécile en public, ne pas insulter
gratuitement.
Un
accompagnement dans leurs pratiques et une écoute de celle-ci, un espace libre
de parole et un temps aménagé sans écran sans les règles importantes.