mardi 15 novembre 2022

Pourquoi Internet n'est PAS une voiture

 Au détour d'échanges récents, alors que j'insistais sur la nécessité de développer la culture numérique des citoyens, j'ai entendu plusieurs fois cette analogie entre Internet et la voiture. A savoir : Il n'est pas important de savoir comment fonctionne Internet pour s'en servir efficacement, comme il n'est pas nécessaire de savoir exactement comment fonctionne une voiture pour rouler avec. 

Alors. Oui. Mais non. 

Oui

En effet, lorsque mon garagiste me dit de changer les injecteurs, le coussinet de bielle ou le joint de culasse de ma voiture, je voyage en terre inconnue et il pourrait aussi bien me parler en Swahili. Pour autant, je suis capable de conduire mon véhicule d'un point A à un point B efficacement. 

De même, nul besoin de maîtriser les protocoles TCP/IP ou le langage html pour naviguer sur Internet. J'ai récemment accompagné des personnes en situation d'illettrisme et les ai vu effectuer avec succès des recherches Google grâce aux assistants vocaux.

Mais non

Sauf que l'analogie ne va pas plus loin. Ou plutôt, ne va pas assez loin. Avant de pouvoir conduire une voiture, nous devons apprendre des rudiments simples de mécanique, changer une roue, vérifier les niveaux. Nous devons en saisir la base de son mécanisme, comprendre qu'elle est alimentée par du carburant, qu'il existe différentes marques, différents modèles. Ce n'est pas ce qu'il se passe avec Internet puisque une majorité des utilisateurs ne connait pas les bases de son fonctionnement et que pour beaucoup, encore aujourd'hui, Internet, c'est Google.

Voici par exemple un test que je fais avec différents publics, jeunes, professionnels ou retraités : Je leur demande de m'expliquer quel est le chemin d'une information ou d'un message sur Snapchat ou Whatsapp. Peu d'entre eux sont capables de me fournir une réponse. Ils comprennent alors qu'Internet et les outils numériques qu'ils manipulent au quotidien leurs sont en fait complètement étranger.

Internet devrait être une voiture

Et surtout, là où l'analogie avec la voiture ne va pas assez loin, c'est que conduire une voiture est un acte responsable : chaque fois que je suis au volant, je dois faire attention à moi, aux autres, car mes actions peuvent avoir des conséquences importantes. C'est pourquoi, avant d'être autorisé à conduire, j'apprends non pas le fonctionnement technique complet d'une automobile, mais j'apprends à respecter tout un ensemble de règles de conduite, qui me permettront de ne pas être un danger pour moi ou pour les autres. J'apprends à vivre avec les autres et à réfléchir à mon comportement.

Loin de moi l'idée de mettre en place un permis Internet, car les règles qui régissent le numérique ne sont pas aussi rigides que celles du code la route, le cadre n'est pas du tout le même et à un moment donné, il faut arrêter avec les analogies !

Mais à l'instar de Louis Derrac, il me semble qu'une éducation à la culture numérique, dans le sens de l'éducation à un numérique citoyen, est absolument nécessaire. 

Une des 3 lois de Clarke stipule que "Toute technologie suffisamment avancée est indiscernable de la magie". La technologie numérique fait partie de nos vies. Il est temps que nous arrêtions de la traiter comme un objet magique et posions un regard critique et éclairé sur celle-ci.

Pix : la solution pour éduquer au numérique ?

Depuis 2021, les élèves de collège et de lycée, ainsi que les facultés, font passer aux élèves des certifications Pix, un service en ligne d'évaluation des compétences numériques et organisent des temps d'autoformation. Et je trouve que la plateforme est très bien. C'est dit. Les exercices sont variés et abordent de nombreux aspects de la culture numérique. 

Malheureusement, elle n'est pas suffisante. Pour avoir accompagné des élèves de collège, de L1, des personnes en parcours d'insertion et des conseillers numériques en formation, je peux l'affirmer : Envoyer des apprenants, quels qu'ils soient, passer du temps sur Pix sans les accompagner, leur expliquer, les motiver, les faire travailler en groupe et mutualiser leurs connaissances, c'est s'assurer le décrochage de nombre d'entre eux.

De plus, les exercices sur la plateforme auront besoin d'être actualisés régulièrement pour rester cohérents et en phase avec les pratiques numériques, notamment des adolescents (certains exercices sont déjà obsolètes de ce côté).

La solution se trouve donc dans une politique d'enseignement de la culture numérique, au niveau de l’Éducation Nationale, dans l'éducation populaire et la formation professionnelle Pix n'en est qu'un outil. Envoyer des élèves sur une plateforme en ligne en espérant qu'elle les éduquera ne peut en aucun cas suffire.